Figures et Objets. Histoire, histoire de l’art, archéologie. Un moment intellectuel à travers ses figures et ses objets d’étude
Colloque organisé à Dijon (Université de Bourgogne) du 01/12/2016 au 02/12/2016
Organisateur(s) : Russo Daniel, Duchêne Hervé
Centre(s) organisateur(s) : Centre Georges Chevrier-UMR CNRS uB 7366
Référence électronique : Russo Daniel, Duchêne Hervé (organisateurs), 2016, Figures et Objets. Histoire, histoire de l’art, archéologie. Un moment intellectuel à travers ses figures et ses objets d’étude [en ligne], colloque, Dijon, Université de Bourgogne, disponible sur https://lir3s.u-bourgogne.fr/phonotheque/m-169, page consultée le 02/12/2024
Présentation de la manifestation
Depuis cinq années, nous poursuivons, mon Collègue Hervé Duchêne et moi-même, l’étude des relations intellectuelles tissées au sein d’un milieu d’échanges internationaux capitalisés autour des figures de Numa Denis Fustel de Coulanges (Paris, 1830-Massy, 1889), Salomon Reinach (Saint-Germain-en-Laye, 1858-Paris, 1932), Émile Mâle (Commentry, 1862-Fontaine-Chaalis, 1954), Bernard Berenson (Vilnius, 1865-Settignano, 1959), mais aussi Henri Focillon (Dijon, 1881-New Haven, 1943), Louis Réau (Poitiers, 1881-Paris, 1961). À partir des années 1870, pour point de départ, jusqu’aux années 1940, sur le fond d’une chronologie d’autant plus significative qu’elle était bouleversée, celle de « l’âge des extrêmes » selon l’expression ramassée d’Eric J. Hobsbawm [1], nous avons recherché, à travers la diversité des penseurs et le foisonnement de leurs œuvres, à retracer les points de contacts, puis les rapprochements entre les œuvres et les hommes, pour mieux comprendre la structure de ce qui pouvait alors nous apparaître comme un « moment » : moment de pensée situé dans l’histoire ; moment aussi, pour certaines de ces figures et des objets pris en compte, de civilisation. Ainsi que Frédéric Worms l’a montré, pour le « moment » de la philosophie saisie dans son histoire [2], isoler une séquence de temps forts ne se réduit pas à retrouver des juxtapositions et des analogies vaguement ressemblantes, comme dans une histoire des idées qui a fait son temps aujourd’hui, mais en vient surtout à souligner une unité autour de problèmes communs, d’enjeux partagés et de questions posées. Tout en respectant la singularité des personnalités, et celle de leurs témoignages écrits, il nous fallait essayer de voir jusqu’où cette singularité même, voire une étrangeté, pointait vers celles de leurs contemporains. D’une certaine façon, nous avons tenté une généalogie critique de ces penseurs, historiens, historiens des arts, tour à tour hommes de lettres et philosophes.
Le projet s’est alors, peu à peu, formé d’élargir le questionnaire et le champ d’enquête, en l’approfondissant et en le dynamisant vers l’avenir. Par rapport à ces préoccupations d’un autre âge, au sens propre, Nicolas Perreaux s’interroge ainsi sur la question toute présente de la « modélisation » dans les travaux des historiens de l’art qu’il situe sous l’angle large des outils numériques tels qu’ils sont utilisés dans les sciences humaines et sociales, et sur leurs implications. Regardant vers l’horizon des années 1870-1940, Hervé Duchêne relie les deux figures de proue, que furent Salomon Reinach et Bernard Berenson, à travers leurs correspondances qu’il étudie en miroir l’une de l’autre, dans le temps même de leur écriture, mais également des polémiques parfois vives qui n’ont pas manqué de naître [3]. Annamaria Ducci, pour sa part, campe un portrait en pied d’Henri Focillon [4] qu’elle affiche sous les traits, peu connus, d’un historien rebelle, et même réfractaire, par rapport à la tradition des études sur le Moyen Âge telles qu’Émile Mâle, par exemple, les incarnait alors, très officiellement, sous la Troisième République qui voyait en lui un « classique » [5]. Eliana Magnani décompose la notion du don et, par là-même, la vision que Marcel Mauss (Épinal, 1872-Paris, 1950) se faisait du Moyen Âge, de ce temps long qui retenait particulièrement son attention parce qu’il voulait le questionner, aussi, sur le problème de la référence sociale et économique [6]. Pierre-Alain Mariaux s’arrête sur la notion de « trésor » au Moyen Âge, son élaboration, la conception qu’on en avait, et entre histoire, histoire de l’art, archéologie de l’objet et de ses techniques, parfois même de ses technologies, en circonscrit les contours, dans des usages et dans des temps illimités, notamment à partir de l’exemple remarquablement documenté du trésor de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune [7] : l’histoire d’un trésor est, toutes proportions gardées, comme une histoire-monde [8]. Préoccupé par les historiens de l’art laissés pour compte par les grandes recensions académiques [9], Daniel Russo analyse les œuvres de Louis Réau, et met en évidence une autre ligne d’études iconographiques, une autre encore, différente de celle d’Émile Mâle et de celle de Focillon, très proche par certaines approches de Louis Bréhier (Brest, 1868-Reims, 1951), mais aussi de Louis Hourticq (Brossac, 1875-Neuilly-sur-Seine, 1944) et de sa Vie des images (Paris, 1927), parfois empreinte des conceptions « civilisationnelles » de l’historien et du visionnaire, tout ensemble, qu’il se rêvait d’être.
L’enquête confine, en ce point, à l’imaginaire de l’histoire de l’histoire de l’art. Presque toujours elle se replie autour de la référence absente dont il s’agit, pourtant, d’entrevoir les signaux plutôt que le sens, tout ce qui fait une présence dans l’histoire.
[1] Eric J. Hobsbawm (Alexandrie, 1917-Londres, 2012), The Age of Extremes: The Short Twentieth Century, 1914-1991, Londres et New York ; traduit en français, Bruxelles, 1999. Pour les exemples de la France de l’Allemagne, lire Michela Passini, La fabrique de l’art national. Le nationalisme et les origines de l’histoire de l’art en France et en Allemagne, 1870-1933, Paris, Passages/Passagen, Centre allemand d’histoire de l’art/Deutsches Forum Für Kunstgeschichte, 2012.
[2] Frédéric Worms (éd.), Le moment 1900 en philosophie, Lille et Valenciennes, Presses universitaires du Septentrion, 2004, en part. p. 8-14 : « Une hypothèse initiale ».
[3] Sur la personnalité de Bernard Berenson, sa situation, à la fois d’homme et de chercheur dans un milieu intellectuel donné : Joseph Connors et Louis A. Waldman (dir.), Bernard Berenson. Formation and Heritage, Villa I Tatti, The Harvard University Center For Italian Renaissance Studies, 2014. Lire le numéro spécial de Studi di Memofonte XIV (2015), Monica Preti (dir.), entre autres les textes d’Annamaria Ducci et d’Hervé Duchêne, l’une sur les échanges entre Focillon et Berenson, l’autre sur Salomon Reinach « passeur » des études de Berenson sur l’art italien en France. Soulignons l’importance des « correspondances » entre savants comme genre, à part entière, dans la recherche scientifique ; Corinne Bonnet, Véronique Krings (dir.), S’écrire et écrire sur l’Antiquité. L’apport des correspondances à l’histoire des travaux scientifiques, Grenoble, Éditions Jérôme Million, 2008.
[4] Annamaria Ducci, « Familles de mains. Sources littéraires et iconographiques dans l’Éloge de la main », Henri Focillon, [textes réunis par Pierre Wat], 2007, p. 63-70, et n. 19, p. 69, pour la référence à : Bernard Berenson, Estetica, Etica e Storia nelle arti della rappresentazione visiva, traduit en italien par Mario Praz, Milan, 1990 [New York, 1948].
[5] Daniel Russo, « Émile Mâle, l’art dans l’histoire », dans André Vauchez (dir.), Émile Mâle (1862-1954). La construction de l’œuvre : Rome et l’Italie, Rome, 2005, [Coll. de l’E.F.R., 345], p. 251-271.
[6] Eliana Magnani (dir.), Don et sciences sociales. Théories et pratiques croisées, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2007, en part. p. 15-28 : « Les médiévistes et le don. Avant et après la théorie maussienne. » De manière tout aussi intéressante, et problématique, sur les possibilités heuristiques de la notion de don, Ead., « Almsgiving, Donatio pro Anima and Eucharistic Offering in the Early Middle Ages of Western Europe (4th-9th century) », Charity and Giving in Monotheistic Religions, Miriam Frenkel et Yaacov Lev (dir.), Berlin et New York, De Gruyter, 2009, p. 111-121.
[7] Le Trésor au Moyen Âge. Discours, pratiques et objets, [Études réunies par] Lucas Burkart, Philippe Cordez, Pierre-Alain Mariaux, Yann Pottin, SISMEL, Edizioni del Galluzzo, 2010 ; Pierre-Alain Mariaux, avec la collaboration de Thalia Brero,L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune, 515-2015, t. 2, Le trésor, Gollion, 2015, pour l’extension même de la notion, en part. p. 11-29, p. 371-389, p. 391-403, « Le trésor des origines à la fin du XIXe siècle », « La visite au trésor. Pèlerins, savants, curieux à Saint-Maurice jusqu’à la fin du XVIIIe siècle », « Histoires de dispositifs ».
[8] Lire Philippe Cordez, Trésor, mémoire, merveilles. Les objets des églises au Moyen Âge, Paris, EHESS, 2016.
[9] Par exemple, Germain Bazin (Suresnes, 1901-Paris, 1990), Histoire de l’histoire de l’art, Paris, 1986, ne mentionne pas Louis Réau et son œuvre. Pour ces commémorations et ces réactivations des historiens de l’art médiéval, en France, à partir de Cluny : Daniel Russo, « Cluny et la construction de l’histoire de l’art en France, d’Émile Mâle (1862-1954) à Henri Focillon (1881-1943) », dans Didier Méhu (dir.), Cluny après Cluny. Constructions, reconstructions et commémorations, 1790-2010, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
Communications
Portrait de Henri Focillon en médiéviste « rebelle » [durée : 41 min.], Ducci Annamaria
Marcel Mauss, le Moyen Âge et le don [durée : 48 min.], Magnani Eliana
Modéliser [durée : 47 min.], Perreaux Nicolas
La notion de trésor au Moyen Âge : enjeux, questions, perspectives de recherches [durée : 48 min.], Mariaux Pierre-Alain
Louis Réau, historien de l’art, historien des « civilisations » [durée : 49 min.], Russo Daniel
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