Entreprendre une réflexion sur l’action antifasciste dans une région, ici l’Yonne, pose une difficulté qu’il convient d’affronter, la réduction de l’antifascisme icaunais à un particularisme local, la recherche de sa conformité à un modèle national, qui n’est en fait que la reproduction d’un modèle parisien (Seuls les travaux d’Antoine Prost sur les manifestations du 12 février en province et ceux de Gilles Vergnon tentent une approche dégagée du localisme et du général-parisien).
À cette double opération de réduction, s’oppose la logique de l’inscription qui lie ensemble national et local par la recherche systématique de la bonne focale pour analyser les pratiques antifascistes icaunaises. L’objectif est de saisir les configurations à l’œuvre qui créent l’antifascisme dans l’Yonne. Plutôt que de classer par organisations, d’abord les Partis (partis socialiste et communiste) puis les associations (Comité de Lutte contre la guerre et le Fascisme, Fédération Nationale des Combattants Républicains), enfin les syndicats. Si ce classement a une vertu, la relation au plus près des faits, la compréhension au plus près des engagements, il a comme défaut de réifier l’antifascisme à travers des pratiques d’organisations sans prendre en compte sa capacité à fédérer dans un combat, le peuple, la classe ouvrière, les paysans. Aller au-delà suppose de porter attention à la polysémie de l’antifascisme, sa capacité à fédérer des aspirations différentes sous un seul nom ; l’antifascisme dit à la fois la défense de la République, la défense de la paix, l’Union nationale face à l’étranger, de l’intérieur et de l’extérieur, la nécessité de la Révolution pour éviter la catastrophe allemande, l’alliance de la classe ouvrière, de la classe paysanne, des classes moyennes, l’engagement de la classe ouvrière pour défendre les libertés démocratiques. L’antifascisme postule l’existence d’un fascisme, français et étranger. Pour la majorité des historiens français, il n’y a pas eu de fascisme français ou simplement des tentations fascistes ; cette thèse est contestée par un certain nombre de chercheurs qui considèrent qu’il y avait bien un fascisme français. Se mettre dans les traces des premiers suppose que l’antifascisme n’est soit qu’une illusion (thèse de François Furet), soit la simple réplique des mouvements de défense républicaine du début du siècle ; s’il n’y a pas de fascisme, alors le danger « fasciste » n’est que le nom de la menace plébiscitaire et royaliste du début du siècle. Dès lors, l’antifascisme retrouve le chemin de la défense républicaine, postule la disparition des clivages sociaux pour mettre en avant la citoyenneté républicaine. Étudier l’antifascisme est rechercher dans ses mobilisations, ses pratiques, les héritages, les marques modernisées de la culture républicaine quand elle est menacée. Dans ce cadre, l’antifascisme ne saurait se nourrir de la recherche de l’ennemi, Le fasciste est connu, identifié, catégorisé, répertorié, il est le ligueur, le bonapartiste, le démagogue, le populiste.
Si l’on prend en considération la deuxième hypothèse, l’antifascisme s’ancre dans la modernité de la situation qui prend le nom de fascisme, s’invente des pratiques nouvelles aptes à rendre compte de la réplique à un « fascisme » qui n’a rien d’imaginaire pour l’antifasciste. L’ennemi doit être identifié, recherché. Il est le Croix-de-Feu, le royaliste, le Jeunesse patriote, le capitaliste, le nazi, le fasciste. L’antifascisme se déplie dans la recherche de l’ennemi, se nourrit de celui-ci pour donner corps à sa propre construction plurielle. Dans ce cadre, un certain nombre de catégories émergent : le fasciste étranger à la nation, le fasciste étranger à la République, le fasciste fauteur de guerre, le fasciste comme figure de l’élu qui vote contre les intérêts populaires. Cette catégorisation ne prend sens que dans son déploiement à l’intérieur de pratiques territorialisées, contextualisées ; elle ne se veut pas une typologie, mais un instrument d’exploration des pluralités de l’antifascisme à travers leur inscription dans des échelles différentes. Cette longue introduction précise les pré-requis de la communication : l’Yonne comme terrain d’observation des pratiques de l’antifascisme.
Notre propos s’organisera autour de trois pistes : antifascisme et pacifisme, l’antifascisme politique, la recherche d’un ennemi.