Journée d’études organisée à Dijon (Université de Bourgogne) le 29/03/2013 Organisateur(s) : Canonne Clément Centre(s) organisateur(s) : Centre Georges Chevrier-UMR CNRS uB 7366
Référence électronique : Canonne Clément (organisateurs), 2013, Philosophie des musiques récentes [en ligne], journée d’études, Dijon, Université de Bourgogne, disponible sur https://lir3s.u-bourgogne.fr/phonotheque/m-123, page consultée le 15/10/2024
Présentation de la manifestation
Dans le très fort renouveau qu’a connu la philosophie de la musique dans les trente dernières années, la musique savante occidentale occupe une place de choix, au détriment d’autres phénomènes musicaux (jazz, rock, musiques électroniques, musiques extra-européennes, etc.) – même si, évidemment, les décentrements vers ces musiques se font de moins en moins rares au fil des ans.
Cette journée, organisée au sein d’un laboratoire de recherche (le Centre Georges Chevrier) qui entend justement faire sien l’étude de nouvelles formes de musique (musiques actuelles, improvisation libre, etc.), se veut donc être l’occasion d’approfondir la réflexion philosophique sur des pratiques musicales plus ou moins récentes qui, d’une manière ou d’une autre, échappent largement à la catégorie de la musique savante occidentale, du moins telle qu’on l’entend habituellement. À bien des égards, cette philosophie plurielle des musiques récentes peut donc constituer une philosophie des « autres » musiques.
L’ambition de la journée est alors double :
Tester la validité des réponses philosophiques qui ont pu être apportées aux problèmes musicaux posés par la musique savante occidentale (questions d’ontologie, de définition, d’évaluation, d’expressivité, de signification esthétique ou éthique, etc.) en les confrontant à d’autres objets musicaux (improvisation, musiques électroniques, etc.), pour éventuellement les réviser.
Faire naître des passerelles entre discours philosophique et discours musicologique, en montrant comment les questionnements et propositions ici esquissés peuvent participer d’un travail de redéfinition des épistémologies mobilisées dans l’approche musicologique de ces objets « épineux ».
Nous envisageons l’hypothèse selon laquelle une improvisation est un type initié par une indication, prolongeant au cas de l’improvisation une thèse proposée par Jerrold Levinson au sujet des œuvres musicales de la tradition occidentale. Plus précisément, selon cette hypothèse, un improvisateur indique un type sonore en le jouant. L’intérêt de cette hypothèse réside dans sa capacité à expliquer certaines propriétés des improvisations (leur créativité, l’articulation entre la création et l’exécution de l’entité musicale créée, leur évanescence essentielle). Une difficulté importante menace cependant cette hypothèse : comment indiquer un type en l’absence de notation ? Cette difficulté soulève une question générale concernant le rapport entre indication et notation en musique, ainsi qu’une question plus particulière au cas de l’improvisation. Tout en reconnaissant la distinction entre une indication artistique et une simple indication, nous soutenons qu’à un niveau général, la prise en compte de facteurs contextuels permet de voir comment un type de structure sonore peut être indiqué en l’absence de notation. Dans le cas particulier de l’improvisation, en revanche, il est nécessaire de distinguer plusieurs espèces d’indications artistiques pour que l’hypothèse de départ garde une certaine plausibilité. Le caractère normatif de l’indication artistique est ici au centre des débats. Quel est exactement cette composant normative et y a-t-il un espace pour une notion d’indication artistique sans cette composante normative ?
Dans cette communication je me propose d’identifier ce qui est spécifique au jazz – ou du moins au jazz qu’on pourrait appeler « paradigmatique » – du point de vue de son expression. Chemin faisant je frôlerai, bien sûr, la question vexante de l’essence du jazz, et j’expliquerai ma conception générale de l’expression musicale. Je postulerai effectivement une Gestalt du jazz, qu’il s’agira de cerner tant par une analyse des caractéristiques musicales sous-jacentes au jazz que par un certain nombre d’illustrations sonores. Je soulèverai en conclusion la question de la spécificité expressive de tout genre de musique.
On peut faire remarquer sans faire violence à nos intuitions que notre appréciation esthétique de la musique est souvent modulée par la nature même de la musique. Cette relativisation des formes d’appréciation esthétique à la nature des objets musicaux appréhendés apparaît clairement dans le cas de l’improvisation. L’hypothèse que je tenterai de défendre ici, c’est que cette poïétique musicale singulière, qui donne à entendre dans le même temps un produit musical et son processus de création, suggère une posture d’écoute elle aussi singulière – une écoute « intentionnaliste » – en créant une relation d’empathie marquée avec les musiciens, improvisateurs et auditeurs étant alors placés dans un rapport expérientiel au flux temporel et musical largement similaire.
Théorie du Club [durée : 36 min.], Gallet Bastien => Cliquez ici pour afficher le résumé de la communication
L’on peut produire des chocs, écrire insensiblement sur les corps en usant du volume et de la fréquence, mais composer des effets suppose toute une traumatique sonore, un art des affects sensori-moteurs qui passe par la transformation de la salle de concert en un espace poly-sensoriel dans lequel son, lumière et chaleur deviennent les paramètres d’une composition des corps, de leurs mouvements, de leurs émotions. Composer des effets veut dire étendre la musique à la foule qui danse car la foule est musique au même titre que les pulsations qui sortent des caissons de basse et l’intégrer signifie composer avec elle autant que sur elle, inventer une nouvelle rhétorique des affects et des mouvements. Le Paradise Garage était plus qu’un instrument, c’était une technologie, un dispositif poly-médiatique qu’il a fallu presque une décennie pour penser et parfaire : concrétisation progressive dont les grands noms furent The Sanctuary, The Loft et The Gallery. C’est cette histoire (et la théorie qui l’accompagne) que nous tâcherons d’exposer.
L’importance d’une musique ne se mesure pas suivant des critères abstraitement formels, mais aussi en fonction de sa capacité à penser musicalement son temps. Mouvement de musique électronique né en Allemagne dans les années 90, le « Glitch » est à l’origine de toute une esthétique de l’erreur ou de la défaillance technologique (« Aesthetics of Failure » comme l’appelle Kim Cascone) qui problématise musicalement les dogmes et les normes de l’ère numérique. Le label allemand « Mille plateaux » créé par Achim Szepanski constitue un cas unique dans l’histoire pourtant riche des rapports entre musique et philosophie : hommage explicite à Gilles Deleuze, ce label entend placer tout un style musical, dans son anonymat même, sous le patronage d’une philosophie. On connaît le mot de Foucault : « Un jour, peut-être, le siècle sera deleuzienÉ ». Je chercherai à montrer en quoi l’esthétique « glitch » est une esthétique du siècle deleuzien.
La harsh noise pâtit certainement d’une forme de préjugé, attaché à son nom même : bruit « abrasif », elle qualifierait des musiques marginales, brutales, peu sophistiquées, dont l’enjeu serait avant tout la recherche d’une violence sonore par le biais de procédés électroniques ou électriques. Cette intervention entend revenir sur cette idée reçue. Sans prétendre dresser le portrait exhaustif d’une scène complexe, il s’agit, à partir d’entretiens, de définir les contours d’une écoute de la harsh noise, en prenant en compte le discours de ses compositeurs divers et auditeurs. Cette écoute se révèle, à l’analyse, extrêmement qualifiée et réflexive. En cela, l’inconfort, voire la douleur, qui peuvent bien jouer un certain rôle (il s’agira alors d’éduquer l’oreille à certains sons d’abord jugés parasitaires), ne sembleront pas essentiels à une expérience esthétique qui se construit moins sur le paramètre de l’intensité sonore que sur ceux, multiples, de la dynamique, de la spatialité, de la texture... et qui, pour être appréciés, demandent une certaine mise à distance. Parce qu’il tient à configurer son expérience, qu’il développe pour en rendre compte un jeu de critères techniques et précis, l’auditeur de harsh noise témoigne d’une écoute à la fois experte et autodidacte. Cette attention minutieuse, qui semble d’ailleurs qualifier l’écoute de la harsh noise par rapport à celle de la noise rock, relève d’une appréciation esthétique originale, qui semble se greffer directement sur l’appréhension physique, voire physiologique du son, en court-circuitant souvent la perception de la forme musicale et le jeu des facultés. L’horizon de cette intervention est l’étude de cette articulation abrupte entre physiologie et esthétique.