Projet Séminaire doctoral de Transversales Journée d’études doctorale organisée à Dijon (Université de Bourgogne) le 30/03/2017 Organisateur(s) : Castellesi Romain, Guedin François-Xavier Centre(s) organisateur(s) : Centre Georges Chevrier-UMR CNRS uB 7366
Référence électronique : Castellesi Romain, Guedin François-Xavier (organisateurs), 2017, Le jeu au prisme des sciences sociales [en ligne], journée d’études doctorale, Dijon, Université de Bourgogne, disponible sur https://lir3s.u-bourgogne.fr/phonotheque/m-176, page consultée le 05/12/2024
Présentation de la manifestation
Objet d’étude trop souvent négligé, le jeu présente pourtant un intérêt scientifique évident. Cette Transversale se fixera comme objectif de questionner les distorsions existant entre la perception du jeu par la population et sa délimitation par les chercheurs. Fruits d’une réflexion issue de la diversité des disciplines du Centre Georges Chevrier, seront mis en avant le statut juridique du jeu, tout comme les problématiques que celui-ci soulève sur le plan philosophique avec l’espace du jeu, les rapports de domination qu’il engendre dans un système de pensée spécifique, en passant par les représentations picturales, sociales et littéraires du jeu.
Activité gratuite, voire futile, ou enjeu majeur de la géopolitique contemporaine ; activité indissociable de sa matérialité ou pure abstraction dessinant un « cercle magique [1] » infranchissable entre la réalité et le jeu, ces interrogations animant les chercheurs depuis la seconde moitié XXe siècle – date de la formation du jeu comme champ de recherche spécifique – sont d’autant plus vives qu’elles portent sur un fait populaire et séculaire : depuis l’Antiquité, dans différentes civilisations, des formes de jeu ont été institutionnalisées, comme les Jeux olympiques chez les Gréco-Romains, les courses de char à Byzance ou les jeux de balle précolombiens. Aujourd’hui, le jeu peut mobiliser des millions de spectateurs, dans les stades ou devant les télévisions, en devenant un véritable phénomène de société.
Les interventions décomposeront le spectre du jeu en de nombreuses variations pouvant dialoguer et/ou s’opposer. À la croisée de la sociologie et de la psychologie, la pratique du Tchoukball mettra en évidence l’émergence de nouvelles conceptions du jeu sportif, alors que les impératifs de performance, de compétition et de sur-médiatisation priment dans les grands événements sportifs mondiaux. L’analyse du divertissement dans la pensée de Pascal permettra, quant à elle, de questionner le paradoxe d’un phénomène en apparence gratuit, qui codifie pourtant nombre d’activités dans le cas de la société française du XVIIe siècle, ressemblant à un theatrum mundi, où chacun, selon son rang, joue, in fine, un jeu lié à son activité propre. Toujours dans l’interrogation d’un certain paradoxe, le jeu sera également questionné comme phénomène futile et subjectif, que Gadamer érige néanmoins au rang d’élément fondamental de toute activité et expérience humaine, créant ainsi un monde autonome et indépendant.
[1] Johan Huizinga, Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris, Gallimard, 1951 [Amsterdam, Pantheon, 1939].
En 2016, le monde sportif a été fortement marqué par les émotions ; de la France avec l’EURO jusqu’au Brésil avec les Jeux olympiques d’été et paralympiques. Cette surmédiatisation du sport dénote une restriction du sens attribué au jeu sportif dans la société contemporaine. Les attributs esthétiques, les frasques sexuelles, les insultes, l’attrait de l’argent prennent le pas sur les exploits sportifs à tel point que les jeunes font parfois l’amalgame entre sport et réussite à tout prix. Ces faits appartenant à la sphère privée prennent des proportions telles, que les pouvoirs économiques et politiques sont influencés et obligés de se positionner face à la pression médiatique. Ces excès en tous genres signent-ils la fin du modèle du jeu sportif comme emblème à la fois moral, politique et culturel ? Le sens général de ce projet d’étude apparait très clairement. Au point de départ, il y a l’inquiétude relative à la valeur éducative des activités sportives modernes. Le sport ne sert pas qu’à faire des champions. Dans cette lutte, il est bon d’apporter un exemple concret et méthodiquement étudié d’une activité sportive conçue dans cet esprit. Cette étude est le fruit d’une large réflexion sur les problèmes généraux du sport et d’une expérimentation méthodique du Tchoukball, un nouveau jeu inventé par le Dr. Brandt. Pour des raisons sociales, préventives ou curatives et ludiques, la pratique du jeu a toujours été le recours de l’homme des sociétés anciennes à nos jours. Cette étude analyse l’intégration sociale et la reconstruction de l’estime de soi chez les personnes handicapées physiques par le biais du Tchoukball.
Blaise Pascal (1623-1662) consacre une partie considérable de ses réflexions (recueillies dans le volume posthume Les Pensées) à l’analyse du divertissement. Conformément à son ascendant latin divertere [détourner de], la notion de divertissement désigne chez Pascal une pratique d’esquive, un subterfuge pour combler l’ennui et l’angoisse existentielle.
Néanmoins, le divertissement n’est pas thématisé dans une optique morale. En effet, la critique pascalienne du divertissement ne s’inscrit pas dans la logique d’une philosophie morale selon laquelle le ludique serait la tentation à éviter pour mieux conduire sa vie. Ce qui prévaut chez Pascal est la dimension ontologique du divertissement liée à la condition de l’existence humaine.
Nonobstant son caractère gratuit, le divertissement est le principe organisateur de la société dans la mesure où le ludique rend possible et codifie le spectacle de la vanité offert par la cour royale, la pratique de la chasse et de la guerre, la quête de charges à l’intérieur du royaume, le jeu de la séduction, les occupations intellectuelles, le sport, les fêtes, la conversation, etc.
La société peut être envisagée comme un theatrum mundi [grand théâtre du monde] étant donné que le ludique est sous-jacent à toutes les manifestations sociales et politiques de l’Homme. En conséquence, chaque membre de la société se prête au jeu correspondant à son rôle à l’intérieur de la communauté. Par exemple, la constitution de la cour versaillaise sous Louis XIV permet une mise en scène du pouvoir absolu. Il en est de même pour les corps de métiers ; les juristes, les médecins, les membres du clergé, etc. sont reconnus et respectés en tant que tels dans la mesure où ils se prêtent au jeu imposé par leur activité : une certaine tenue vestimentaire, un certain moyen de locomotion, une certaine façon de parler, etc.
Gadamer développe son concept du jeu en visant deux présuppositions très répandues : la première, affirmée non seulement par Huizinga et Caillois, mais aussi par Aristote, dit que le jeu n’est pas chose sérieuse ; la deuxième, dominant dans l’esthétique, magnifie l’expérience subjective du jeu. Afin de dévoiler la structure essentielle du concept du jeu, le philosophe examine les usages métaphoriques du mot « jeu ». Sa thèse n’est peut-être finalement pas si éloignée de celle de Huizinga : le jeu fait partie des éléments les plus fondamentaux de la vie humaine. Son concept de jeu diverge néanmoins, car Gadamer ne traite pas du jeu du point de vue d’un sujet ou d’un joueur qui participerait à ce jeu, mais le regarde dans sa totalité, qui dépasse alors la conscience de ceux qui jouent. Ce qui caractérise le jeu en tant que totalité qui concerne non seulement les joueurs, mais aussi le monde ainsi engendré par le jeu, est l’autoreprésentation. Éloignée d’une expérience subjective et restrictive du jeu, la question de la productivité du jeu prend une nouvelle forme. En tant qu’autoreprésentation, le jeu atteint son accomplissement dans ce que Gadamer appelle « transmutation en œuvre ». La fonction représentative du jeu, qui crée un monde et des mesures avec lesquelles toutes les valeurs sont évaluées, est aussi le moyen par lequel une œuvre d’art exprime sa vérité. Alors que Huizinga adopte une approche sociologique dans son étude du jeu, l’approche philosophique (ou même phénoménologique) de Gadamer lui permet d’encadrer l’enjeu du concept du jeu dans les structures les plus fondamentales de l’expérience humaine.