Additions et transitions énergétiques régionales du Moyen Âge à nos jours : le cas de la Bourgogne
Projet hypertext link symbol Atelier Penser les transitions
Journée d’études organisée à Dijon (Université de Bourgogne) le 17/05/2017
Organisateur(s) : Jarrige François, Passaqui Jean-Philippe
Centre(s) organisateur(s) : Centre Georges Chevrier-UMR CNRS uB 7366

Référence électronique : Jarrige François, Passaqui Jean-Philippe (organisateurs), 2017, Additions et transitions énergétiques régionales du Moyen Âge à nos jours : le cas de la Bourgogne [en ligne], journée d’études, Dijon, Université de Bourgogne, disponible sur https://lir3s.u-bourgogne.fr/phonotheque/m-181, page consultée le 05/12/2024



Présentation de la manifestation

Alors que l’entrée dans l’âge dit de l’anthropocène et les enjeux climatiques globaux interrogent en profondeur nos manières d’habiter la terre et conduisent de plus en plus à penser le monde de façon globale, la question énergétique fait l’objet de recherches renouvelées en histoire et dans les sciences sociales (Kander et al., 2014). Souvent pensée dans une perspective gestionnaire, l’histoire de l’énergie est en général annexée à une représentation linéaire du temps et à une perspective modernisatrice de l’économie. Pour conjurer l’effondrement annoncé, il s’agirait d’engager la « transition énergétique ». Pourtant, l’histoire de l’énergie montre combien cette notion de transition est fragile, combien elle est liée à la fascination pour l’innovation et à une représentation évolutionniste du temps. Plutôt que des transitions successives, l’histoire montre une série d’additions énergétiques : on ne passe pas du bois au charbon, puis au pétrole et au nucléaire de façon linéaire, ces sources d’énergie primaires s’additionnent pour produire le monde de puissance et de fragilités contemporain (Bonneuil et Fressoz, 2013).

Si l’énergie amène à penser le temps long de l’évolution des sociétés, elle conduit aussi à interroger les dynamiques spatiales et les logiques de construction des territoires (Rifkin, 2013). Les régions, comme les villes et les nations possèdent en effet un métabolisme singulier caractérisé par des flux de matière et d’énergie qui modèlent en profondeur leur fonctionnement (Barle, 2009 ; Kim, 2013). L’histoire et la sociologie des macro-systèmes techniques – notamment ceux associés à l’électrification – ont montré combien les réseaux d’énergie façonnaient les territoires, les reliaient et les hiérarchisaient via la circulation de matières ou la construction d’infrastructures (Hugues, Gras). D’autres recherches ont proposé d’objectiver le métabolisme des nations et l’appropriation inégale de la biomasse et de l’énergie par les pays et les régions centres du système capitaliste (Hornborg, 2011 ; Kraussmann et al., 2013) ou d’interroger les systèmes énergétiques au prisme des rapports de force politique globaux (Mitchell, 2013). Prenant appui sur ces renouvellements historiographiques, ce projet entend interroger comment l’énergie redéfinit les dynamiques spatiales à plusieurs échelles, du local au global, en interrogeant en particulier le métabolisme régional, ses évolutions ; il s’agit d’explorer comment la production, la circulation et la consommation de l’énergie façonnent les relations entre villes et campagnes, entre régions, entre centre et périphérie, comme entre métropoles et Empires.

Pour penser ces enjeux, une journée d’études organisée au sein du Centre Georges Chevrier tentera d’examiner ces enjeux à l’échelle régionale, en partant de situations locales. Alors que l’histoire de l’énergie est en plein développement à l’échelle mondiale, décloisonnant les échelles et les horizons et comparant des situations parfois très éloignées, l’échelle régionale et locale peut-elle être un espace pertinent pour penser l’évolution des systèmes énergétiques et leurs enjeux sociaux, environnementaux et politiques ? Ainsi la Bourgogne n’existe pas, nous le savons, elle vient d’ailleurs de disparaître dans un ensemble régional plus vaste. C’est une construction historique fragile, dont l’étendue a varié, incluant jusqu’aux provinces savoyardes, ou réduite aux quatre départements de l’Yonne, de la Côte-d’Or, de la Nièvre et de la Saône-et-Loire. L’enjeu n’est évidemment pas de réifier cet ensemble politique et administratif largement artificiel, mais de comprendre comment les dynamiques énergétiques ont pu le modeler. Il s’agira d’explorer la construction imaginaire et socio-historique de cet espace en lien avec les questions énergétiques qui n’ont cessé de le façonner. Il convient ainsi de rappeler combien cet ensemble appelé Bourgogne est très hétérogène du point de vue de ses ressources comme de ses systèmes énergétiques, il s’agit d’une région largement rurale dominée par un mix énergétique complexe, et une armature de villes moyennes assez lâche.

Elle présente dès lors des caractéristiques intéressantes pour penser l’évolution de longue durée de la question socio-énergétique et de ses mutations actuelles. Alors que la plupart des études portent sur Paris et les grandes métropoles, l’enjeu sera d’explorer l’existence et le fonctionnement du métabolisme énergétique régional afin de mettre en perspective les réflexions contemporaines sur les voies de sortie de la société thermo-industrielle et sa dépendance aux énergies fossiles.

On le sait désormais, l’évolution des relations que les sociétés entretiennent avec la question de l’énergie n’est pas réductible au récit téléologique et linéaire des innovations mises au point pour exploiter telle ou telle ressource ou utiliser tel ou tel convertisseur plus efficace. Tout système énergétique, quelle que soit l’échelle adoptée pour le penser, est toujours modelé par des structures sociales, des choix politiques et des imaginaires de la puissance, à l’échelle locale comme globale. Loin de relever de la seule expertise des ingénieurs, la question de l’énergie doit être investie par l’histoire et par les sciences sociales pour mettre au jour les enjeux sociopolitiques et environnementaux qui modèlent en permanence les trajectoires du passé comme les choix contemporains.

La Bourgogne présente, à cet égard et comme toutes les régions, des singularités qui pourraient être mises en perspective avec d’autres systèmes énergétiques régionaux en France et ailleurs, et en étant attentif aux connexions qui relient les situations locales à d’autres espaces et d’autres échelles d’analyse. À l’initiative d’Alterre Bourgogne (Agence régionale pour l’environnement et le développement soutenable), des enquêtes récentes sur les métabolismes régionaux actuels et les flux de matières qui structurent le tissu socio-économique régional ont ainsi pris l’exemple bourguignon comme terrain d’enquête. Étudiant les flux d’énergie et de matières, ces enquêtes montrent par exemple que 28 millions de tonnes de matières sont extraites chaque année du territoire bourguignon pour faire fonctionner le système socio-économique. Cela représente plus de 4 % de celles extraites dans l’ensemble du territoire français et correspond à 17 tonnes par habitant, pour une moyenne de 10 tonnes par Français. Dans cet ensemble, la biomasse issue de la forêt représente 7 % des matières extraites en Bourgogne contre seulement 4 % à l’échelle nationale. Ce type d’enquête montre aussi combien le métabolisme énergétique régional est étroitement associé à celui d’autres territoires par de multiples relations d’interdépendance (Barle et al., 2014). Dans un cadre local, celui de l’Autunois-Morvan, c’est ce qu’illustre le projet « Les routes de l’énergie », associant les patrimoines industriels et techniques de l’Autunois-Morvan où ont été exploités simultanément le bois, la houille, le schiste bitumineux, les ressources hydrauliques et les minerais uranifères.

À une autre échelle, la Bourgogne dont le périmètre ne cesse de changer est d’abord marquée par une très grande diversité de possibilités énergétiques liées aux singularités du milieu et aux formes de son exploitation : les masses granitiques du Morvan avec leur vaste forêt, les côtes calcaires de l’Auxois et du Charollais traversées de cours d’eau, la côte viticole plus au sud qui prolonge les plateaux calcaires, ou la vaste plaine de la Saône, autant de micro régions singulières aux possibilités énergétiques très variables, souvent complémentaires, parfois concurrentes. Comme dans d’autres régions, le réseau hydraulique et les vastes forêts furent utilisés précocement pour produire de la force et demeurent encore aujourd’hui des sources d’énergie primordiales. Mais la Bourgogne fut aussi une région minière longtemps importante, les bassins de Blanzy, Épinac et Decize/La Machine, situés dans la partie méridionale entre le nord de la Saône-et-Loire et le sud de la Nièvre, ont joué, jusqu’au milieu du XXe siècle, un rôle crucial dans l’approvisionnement énergétique régional comme dans le façonnement de ses identités politiques et sociales. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces différentes exploitations ont été, au moment de la nationalisation des houillères, intégrées dans un même ensemble, les Houillères du Bassin de Blanzy.

La Bourgogne a par ailleurs été au cœur de nombreux travaux classiques consacrés à l’histoire de l’énergie, notamment de la part des médiévistes explorant la genèse de l’hydraulique monastique (Paul Benoit, 1998), mais aussi de la part des historiens de la sidérurgie comme Denis Woronoff enquêtant sur les forges et leurs évolutions, sans oublier les travaux récents consacrés aux usines du Creusot. Serge Benoît avait également pris le cas de la Côte-d’Or comme terrain pourexaminer la persistance et l’importance de l’hydraulique au XIXe siècle. Nous pouvons aussi associer à ces démarches celles conduites par Arlette Brosselin autour des questions relatives à la gestion des ressources forestières, dans la mesure où le bois est longtemps resté un intrant majeur de l’industrie. Prenant appui sur ces travaux, l’histoire de l’énergie et de ses enjeux pourrait trouver un second souffle en initiant de nouvelles recherches attentives aux comparaisons entre métabolismes énergétiques régionaux afin de sortir de l’abstraction des séries statistiques nationales. L’énergie a par ailleurs donné lieu à une série de colloques organisés par le « Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale » (RUCHE), cette journée entend contribuer et participer à cette dynamique.

Depuis le Moyen Âge, l’histoire de cet espace qu’est la Bourgogne a été modelée et construite de multiples manières par la question de l’énergie. À travers le flottage du bois, la domestication des ressources hydrauliques, l’exploitation des mines et des forêts, les sociétés bourguignonnes ont été construites par l’exploitation de la biomasse et du sous-sol. À partir du XVe siècle, pour faire face à la très forte demande des nouveaux procédés de production et d’affinage du fer, les prélèvements augmentent et s’accélèrent, entraînant une vive compétition entre les communautés villageoises attachées aux usages anciens, et les seigneurs et bourgeois propriétaires de grosses forges et verreries. Comme dans d’autres régions du royaume, mais d’une façon singulière qui mérite d’être interrogée, les communautés villageoises ont exploité les forêts depuis des siècles. De multiples utilisateurs recouraient à cette source d’énergie essentielle dans les sociétés préindustrielles, et en premier lieu les fameuses forges de Buffon qui produisaient plusieurs centaines de tonnes de fonte et de fer par an à la fin du XVIIIe siècle.

Par la suite, comment cet espace régional s’est-il inséré dans les mutations énergétiques de l’âge industriel ? Comment les nouvelles sources d’énergie primaires et secondaires de l’âge industriel ont-elles été adoptées, selon quels rythmes et quelles dynamiques ? La Bourgogne est une région qui emprunte lentement le chemin de l’industrialisation. Au XIXe siècle, l’énergie humaine et animale reste longtemps importante pour actionner les métiers à domicile ou dans les petits ateliers ; la force des bêtes et les moteurs hydrauliques, malgré leur insuffisance et leur irrégularité, demeurent omniprésents même si les machines à vapeur font peu à peu leur apparition en se superposant ou en remodelant la localisation des activités artisanales et industrielles ainsi que les relations entre les villes et les campagnes. À cet égard, les permanences et mutations de l’industrie sidérurgique châtillonnaise méritent d’être rappelées, dans la mesure où la machine à vapeur a été perçue comme un relais, un soutien temporaire de l’énergie hydraulique, dont les mécanismes, hérités de siècles d’amélioration, restaient susceptibles de générer une force de plusieurs dizaines de chevaux par équipement.

L’époque contemporaine et l’accroissement considérable des consommations d’énergie ont remodelé de multiples manières les territoires régionaux, renforcé leur dépendance à l’égard de ressources exploitées ailleurs, parfois très loin via les réseaux de distribution de l’électricité ou des combustibles fossiles (le pétrole consommé par les Bourguignons quelques années seulement après sa découverte par le colonel Drake en 1859 provient d’Amérique puis du Caucase, de Roumanie et enfin du Moyen-Orient). Si l’ingénieur dijonnais Hippolyte Fontaine contribue à la fin du XIXe siècle à adapter la génératrice électrique à de nouveaux usages industriels – un musée de l’histoire de l’électricité lui est d’ailleurs dédié à Dijon – l’électrification de la Bourgogne prend néanmoins du temps et s’opère de façon très inégale au cours du XXe siècle. C’est d’abord dans la capitale régionale que l’électricité arrive précocement – dès 1891, le tramway de Dijon fonctionne à l’électricité – mais de nombreux bourgs et campagnes restent à l’écart jusqu’aux décennies de l’après-guerre. En parallèle, l’industrie s’approprie très rapidement la force et la lumière électriques, pour surmonter des questions techniques que la vapeur ne parvenait plus à résoudre (dispositif d’aérage des mines de La Machine, dans la Nièvre, après le terrible coup de poussières de 1890), mais aussi par la possibilité que les centrales thermiques offrent de créer un débouché aux charbons les plus médiocres, non commercialisables. À nouveau, la complémentarité est de mise, entre une production électrique reposant sur les premiers aménagements hydro-électriques et celle implantée sur le carreau des puits de mines. La première installation sur la Grosne est rapidement reliée à la première centrale (Lucy I) de Montceau. La production électrique en Bourgogne, la création du réseau de distribution se superposent à l’extraction de la houille, dans les lieux de production comme dans les modes de financement.

La Bourgogne a par ailleurs joué dans le passé un rôle central dans l’approvisionnement en combustible du reste du territoire et elle représente un maillon important dans les circulations de combustibles, dans les infrastructures ferroviaires ou électriques qui quadrillent le territoire national. Pensons aux bois du Morvan conduits aux XVIIIe et XIXe siècles jusqu’à Paris ou aux réseaux amenant l’électricité du barrage de Génissiat jusqu’en région parisienne, en traversant les départements bourguignons. La grande autoroute de 400 000 volts qui traverse la Saône-et-Loire au niveau de Montchanin passe d’ailleurs à proximité du poste transformateur de Pont Jeanne-Rose créé au lendemain de la Première Guerre mondiale, comme un des premiers maillons de l’interconnexion entre les centres de production régionaux. Les mines de Montceau où le charbon était exploité jusqu’à des profondeurs importantes, aboutissant à une concentration précoce de la production au lendemain de la Première Guerre mondiale (puits Darcy notamment) avant de s’achever par des grandes tranchées à ciel ouvert, et celle – exclusivement souterraine – de La Machine, ont par ailleurs modelé des paysages ainsi que des mondes sociaux et politiques singuliers. La Bourgogne est en effet traversée par de vastes infrastructures énergétiques qui relient les centres lyonnais et parisien. L’histoire des lignes électriques, de leur construction, des enjeux qu’elles soulevaient, mériteraient d’être approfondies dans cette perspective, d’autant que les archives abondent pour traiter ces questions.

Au-delà des réseaux et des combustibles utilisés ou produits, il s’agira surtout d’explorer les rapports sociaux singuliers qui ont été modelés par ces choix énergétiques, mais aussi les enjeux environnementaux qui ont accompagné l’aménagement du territoire, les grands travaux d’infrastructures, et les conflits sociaux et culturels qui ne cessent de les suivre. Penser les relations complexes qui se sont nouées entre énergie, territoires et société implique enfin d’explorer les controverses énergétiques dupassé, les débats incessants sur la déforestation au XVIIIe siècle, sur l’épuisement des réserves locales de houille, puis, plus récemment, sur les potentialités offertes par des gisements découverts au lendemain de la Première Guerre mondiale et sans cesse « redécouverts » à chaque pression sur les approvisionnements énergétiques (Lucenay-les-Aix, dans la Nièvre) ou le problème permanent des pénuries et les diverses manières de les affronter. La Bourgogne et le Nivernais ont dans ce domaine abouti à des réflexions complexes, marquées par des ruptures diachroniques. À nouveau, le regard porté sur l’exploitation du bois est révélateur, car, après 1860, dans le prolongement du processus de concentration qui s’opère dans l’industrie sidérurgique, pendant que les verreries et l’industrie de la céramique se localisent de plus en plus à proximité du seul charbon, les ressources en bois, de rares deviennent trop abondantes, et doivent trouver de nouveaux débouchés. Dans le Châtillonnais, le futur grand savant Louis Cailletet, aidé de son frère, tente de préserver les intérêts industriels familiaux en suivant les principes édictés par Le Play en vue de constituer des grands établissements industriels au sein des régions forestières, à l’imitation des complexes industriels comme ceux du Creusot ou de Commentry-Montluçon. À quelques kilomètres des frères Cailletet, plutôt que de prolonger une activité qui semble sans avenir et en contradiction avec certaines de ses participations industrielles, la famille Bordet se propose, en 1860, de reconvertir son site de Leuglay-Froidvent. Pour la première fois en France, le charbon de bois n’est plus obtenu artisanalement, dans les forêts, par le recours aux meules ancestrales, mais bien dans un cadre industriel. Quelques années plus tard, en 1886, la famille belge Lambiotte trouve à Prémery, dans la Nièvre, un lieu d’implantation privilégié pour ériger la plus grande usine de carbonisation du bois jamais construite en France. Au-delà de la seule production de charbon de bois, elle est restée pendant longtemps, avec sa voisine de Clamecy, une entreprise phare dans le domaine de la récupération de produits pyroligneux destinés à la fabrication de solvants, d’arômes alimentaires, de colles, de plastiques et de médicaments.

À côté de la houille et, accessoirement, du lignite exploité dans l’Yonne, le schiste bitumineux peut être considéré comme un combustible solide. Il a été utilisé à cette fin pour alimenter en complément ou à la place de la houille une centrale thermique. En effet, cette substance minérale est très présente en Bourgogne, notamment dans le sous-sol de l’Autunois et ceci jusqu’à plus de mille mètres de profondeur. Pour Amédée Burat, professeur d’exploitation des mines à l’École centrale, le lieu constituait d’ailleurs un formidable exemple de ce qui caractérisait un bassin géologique. À son époque, au milieu des années 1860, le schiste bitumineux sortait à peine de plusieurs décennies d’errance technique, qui avaient vu les premières entreprises hésiter entre la production de gaz d’éclairage et celle d’huile lampante. À peine constituée, grâce notamment au financement de la haute banque parisienne, la filière manque de disparaître, éprouvée qu’elle est par la concurrence des pétroles d’importation. Elle ne sort que ponctuellement de sa léthargie, au début des années 1880 tout d’abord, avec la constitution par le Crédit Lyonnais de la Société Lyonnaise des Schistes Bitumineux, puis, en 1936, avec la création d’une raffinerie pour la production de carburants, grâce au soutien de l’Office National des Combustibles Liquides, enfin, à partir de 1939-40 et pendant toute la Seconde Guerre mondiale, avec la reprise du site par Pechelbronn-SAEM et sa réorganisation par la création de la Société Minière des Schistes Bitumineux.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics nationaux et régionaux entendent promouvoir un nouveau système énergétique durable, soutenu par des agences régionales comme l’ADEME, d’autant plus en charge de la transition qu’à la mobilisation des moyens en vue de promouvoir les grandes orientations énergétiques déterminées par les Grenelle de l’environnement, s’ajoute la liquidation, par la tabula rasa notamment, des sites hérités des systèmes techniques antérieurs. Ainsi l’ADEME conduit depuis plusieurs années le démantèlement du site de carbonisation du bois de Prémery évoqué ci-dessus. Née dans le contexte des crises énergétiques des années 1970, quel rôle l’histoire peut-elle jouer dans la réflexion sur les transitions ? Les débats sur l’implantation des éoliennes, notamment dans l’Yonne, le département le plus propice à ce type d’installation, montrent les complexes enjeux socio-culturels qui accompagnent l’abandon des trajectoires fossiles. L’énergie et ses patrimoines contemporains – notamment minier – pourraient également être interrogés dans la perspective d’une réflexion sur les manières d’hériter des trajectoires anciennes. Le verbe est d’ailleurs bien choisi, car il renvoie à l’expression anglophone d’industrial heritage sans doute plus évocatrice que son équivalent français de patrimoine industriel. À l’heure des transitions énergétiques supposées et des utopies technologiques qui les portent – de la voiture électrique au rêve hydrogène – mais aussi à l’époque de la novlangue technocratique proliférante – pensons aux « territoires à énergie positive » tant vantés – l’expérience du passé demeure sans doute plus utile que jamais pour cerner les apories comme le champ des possibles des futurs énergétiques. En bref, alors que se multiplient les mythes et les prophéties visant à conjurer l’effondrement, comment interroger le métabolisme socio-énergétique régional et ses mutations ? Comment penser son articulation avec les échelles micro, nationales et globales ; et comment reconstruire l’évolution de longue durée des additions et enjeux énergétiques successifs ?

Bibliographie indicative, l’énergie du Moyen Âge à nos jours :

  • Barle Sabine, « Urban Metabolism of Paris and its Region », Journal of Industrial Ecology, vol. 13, no 6, 2009, p. 898-913.
  • Barle Sabine et alii, Comptabilité des flux de matières dans les régions et les départements - Guide méthodologique, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie-CGDD, 2014.
  • Beck Corinne, Les Eaux et forêts en Bourgogne ducale (vers 1350-vers 1480). Société et biodiversité, Paris, L’Harmattan, 2008.
  • Benoît Paul et Berthier Karine, « L’innovation dans l’exploitation de l’énergie hydraulique d’après le cas des monastères cisterciens de Bourgogne, Champagne et Franche-Comté, in Beck Patrice (dir.), L’innovation technique au Moyen Âge, VIe congrès international d’archéologie médiévale, Paris, Errance, 1998, p. 58-65.
  • Benoit Serge, « L’utilisation de l’énergie hydraulique en Côte-d’Or au XIXe siècle : esquisse d’un bilan d’ensemble », in Eau, rivières et confins, Actes du 15e colloque de l’ABSS, Dijon-Joigny, Association bourguignonne des sociétés savantes-Association culturelle et d’études de Joigny, 2006, p. 53-69. [voir aussi toutes les autres contributions de ce volume].
  • Berthier Karine, « L’hydraulique de l’abbaye de Cîteaux (Côte d’Or, France) », in Benoît Paul et Pressouyre Léon (dir.), L’hydraulique monastique, Grâne, Créaphis, 1996.
  • Bonneuil Christophe et Fressoz Jean-Baptiste, L’événement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013.
  • Braunstein Philippe et Chapelot Odette, « Mines et métallurgie en Bourgogne à la fin du Moyen Âge, première esquisse », in Benoît Paul et Braunstein Philippe (dir.), Mines, carrières et métallurgie dans la France médiévale, 1983, p. 31-66.
  • Brosselin Arlette, La forêt bourguignonne 1660-1789, préface de François Caron, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1987.
  • Debeir Jean-Claude, Deléage Jean-Paul et Hemery Daniel, Une histoire de l’énergie. Les servitudes de la puissance, Paris, Flammarion, 2013 [1986].
  • Gras Alain, Grandeur et dépendance, sociologie des macro-systèmes techniques, Paris, PUF, 1993.
  • Hornborg Alf, Global ecology and unequal exchange. Fetishism in a Zero-Sum World, Londres, Routledge, 2011.
  • Hughes Thomas P, Networks of Power: Electrification in Western Society, 1880-1930, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1983.
  • Kander Astrid, Malanima Paolo et Warde Paul, Power to the People. Energy and Economy in Europe, 1600-2000, Princeton, Princeton University Press, 2014.
  • Kim Eun Hye, Les transitions énergétiques urbaines du XIXe au XXIe siècle : de la biomasse aux combustibles fossiles e

Communications

hypertext link symbol Additions et transitions énergétiques régionales du Moyen Âge à nos jours : le cas de la Bourgogne. Introduction [durée : 12 min.], Jarrige François

hypertext link symbol Le « métabolisme énergétique » de l’hôtel du duc de Bourgogne à Dijon depuis le Moyen Âge [durée : 53 min.], Mouillebouche Hervé

hypertext link symbol Les sources d’énergie en Bourgogne septentrionale au XVIIIe siècle au regard de la statistique [durée : 39 min.], Lamarre Christine

Enregistrement non public.

hypertext link symbol Crise du flottage et approvisionnement énergétique : le cas de la Haute Yonne (XVIIIe-XIXe siècles) [durée : 32 min.], Langoureau Dimitri

hypertext link symbol L’acclimatation de la vapeur au XIXe siècle [durée : 58 min.], Jarrige François

hypertext link symbol La transformation radicale des installations minières bourguignonnes au lendemain de la Première Guerre mondiale [durée : 55 min.], Passaqui Jean-Philippe

hypertext link symbol Les politiques régionales de l’énergie depuis 1946 [durée : 42 min.], Dubois Franck

hypertext link symbol Scénarios et prospectives énergétiques régionales : enjeux de méthode [durée : 34 min.], Merlaut David




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