Colloque organisé à Dijon (Université de Bourgogne) du 22/06/2006 au 23/06/2006 Organisateur(s) : Vigreux Jean Centre(s) organisateur(s) : Centre Georges Chevrier-UMR CNRS uB 7366
Référence électronique : Vigreux Jean (organisateurs), 2006, Expériences et inscriptions du Front populaire - Militants, territoires et mémoires [en ligne], colloque, Dijon, Université de Bourgogne, disponible sur https://lir3s.u-bourgogne.fr/phonotheque/m-37, page consultée le 17/11/2025
Présentation de la manifestation
Ce colloque se propose d’aborder l’histoire du Front populaire en tenant compte de son historiographie particulièrement riche, mais également de son inscription dans la mémoire nationale en tant qu’épisode historique majeur. Le rapport entre histoire et mémoire a perdu de sa vivacité dans ce domaine ce qui n’interdit pas, bien au contraire, de penser leur relation en cette occasion où la demande mémorielle ne pèse pas comme en d’autres temps sur l’offre historienne.
Les recherches historiques ont longtemps focalisé l’attention et l’investigation sur les différentes facettes du Front populaire, alternant les entrées centrées sur la stratégie des organisations ouvrières, les mobilisations sociales, avec d’autres plus attentives à l’attitude des élites économiques ou encore à l’œuvre législative du gouvernement. Même si dans ces différents domaines, beaucoup de recherches sont encore à mener grâce notamment à de nouveaux gisements d’archives, par l’exploitation des archives spéciales rétrocédées par les autorités russes, ce sont surtout de nouvelles approches que ce colloque se propose de développer.
L’originalité et l’importance historiques de l’épisode furent longtemps laissées en dehors des recherches notamment parce que l’événement restait proche, actualisé par une vie politique dominée par les références au Front populaire. L’approche en longue durée signifie, non pas une perte d’acuité dans le regard, mais une analyse plus attentive aux origines comme à la pérennité de certains phénomènes apparus au temps du Front populaire et dont l’importance n’est perceptible qu’à long terme, bien au-delà du moment historique lui-même. À cet égard, on se propose d’interroger le Front populaire comme moment fondateur ou matriciel. De ce point de vue les débats et les controverses sur l’engagement des intellectuels, les pratiques politiques et/ou militantes dans les milieux populaires, la combinaison des dimensions locales, nationales et internationales de même que la trace du Front populaire dans la vie politique et culturelle ont semblé des entrées pertinentes pour organiser ce colloque autour des recherches les plus récentes.
La multiplicité des références au Front populaire renvoie à la diversité de son inscription comme alliance politique, comme courant idéologique, comme mouvement social ou comme expérience gouvernementale. L’attention portée à ces différentes dimensions paraît fructueuse dans le cadre d’une réflexion attentive à la longue durée. Il ne s’agit pas de nier l’originalité du Front populaire comme événement, mais de l’inscrire dans l’histoire politique et sociale séculaire nationale, tant du point de vue de ses références idéologiques et institutionnelles que des pratiques politiques collectives et individuelles.
La référence à l’expérience renvoie du côté de la mémoire et de la revisite récurrente de l’événement à la lumière des commémorations ultérieures. Mais la notion d’expérience signale également l’importance de l’événement dans la trajectoire des acteurs : leur participation au Front populaire, de façon plus ou moins active, a parfois façonné durablement leur politisation. On aurait alors un événement fondateur pour une éventuelle génération de militants. C’est de ce point de vue que la dimension internationale du Front populaire est abordée puisqu’il apparaît comme un creuset, où exilés et émigrés participent d’une culture antifasciste qui devient la matrice d’un engagement politique durable prolongé dans les combats de la résistance et ceux de l’après-guerre.
L’expérience du Front populaire représente une période exceptionnelle dans l’histoire de la France contemporaine, tant au niveau social, politique que culturel. Mais cet épisode représente également, pour l’histoire particulière du mouvement syndical, un moment unique, élevé au rang des « mythes sociaux ». En l’espace d’une demi décennie, la CGT connaît des bouleversements considérables, tant au point de vue de ses conceptions idéologiques que de ses pratiques. D’abord l’élan unitaire, né aux lendemains de la manifestation du 6 février 1934, met fin deux ans plus tard à la division syndicale en vigueur depuis 1922. L’adhésion massive des travailleurs aux syndicats réunifiés, après les grèves de mai-juin 36, permet à la CGT de devenir l’organisation réellement représentative de la classe ouvrière. Instrument originel de défense des intérêts des travailleurs, elle tend alors à redéfinir son rapport à la nation et à se faire reconnaître comme une organisation responsable, capable de gestion. La CGT tente d’obtenir, par le jeu des institutions démocratiques et donc par l’Etat, des améliorations pour la classe ouvrière. Partenaire de la nouvelle donne législative du Front populaire, la CGT va allier combativité revendicative, politique de présence et syndicalisme de service. Cette orientation nouvelle implique un investissement dans le champ social, longtemps mésestimé par l’organisation syndicale, mais qui, avec les congés payés et la semaine de quarante heures, fait apparaître de nouvelles attentes qui ne peuvent plus être ignorées, comme les loisirs, la culture, la santé, l’éducation ou le sport.
Gaston Bachelard a saisi l’occasion du premier numéro de la revue Inquisitions paru au moment même du Front populaire pour publier un manifeste philosophique associé au mot d’ordre « surrationaliste ». S’agit-il d’un geste isolé ou d’un moment philosophique dont on peut repérer d’autres occurrences ? Comment ce manifeste se situait-il dans l’horizon philosophique, politique et artistique de cette période ? Le geste a-t-il connu des échos et a-t-il aujourd’hui quelque portée ?
L’Encyclopédie française, dirigée par Lucien Febvre et Anatole de Monzie, apporte à compter de 1935 une dimension inédite au projet encyclopédiste. Deux tomes se détachent sous le Front populaire : celui dirigé par Pierre Abraham, sur la littérature, et le dernier, dirigé par Julien Cain, sur la civilisation du livre. Une lecture comparée des problématiques des deux volumes montre la place centrale des analyses sur les pratiques et métiers du livre (écrivains, traducteurs, imprimeurs, éditeurs, bibliothécaires, etc.), prolongeant l’œuvre de Diderot tout en s’ancrant dans l’actualité politique. Cette forme d’engagement se retrouve aussi dans l’analyse des courants littéraires et reflète la diversité de la vie éditoriale du moment.
Les années qui suivirent l’après Première Guerre mondiale ont été marquées par une pesante atmosphère de crise de l’action intellectuelle et de l’idée de civilisation. C’est dans ce contexte que s’est tenue en mai 1929, la deuxième semaine de synthèse sur le thème « Civilisation. Le Mot et l’Idée ». À cette occasion l’historien Lucien Febvre a donné un exposé de sémantique historique. Le sociologue Marcel Mauss, quant à lui, a entendu problématiser la notion de manière durkheimienne et la traiter comme un objet réaliste. Il a ainsi parlé de « civilisations » au pluriel en vue de traquer une anthropologie dont l’objet n’était plus d’ordre physique comme chez Henri Berr, mais d’ordre sociologique ou culturel. Ainsi, l’horizon en péril devenait-il un vaste chantier. « Les civilisations » livreraient la matière empirique quasi-expérimentale d’où l’on pourrait dégager, à nouveaux frais, « la civilisation ». De là, la question de la mesure du degré de civilisation et quelques-unes des réponses proposées à proximité du Centre international de synthèse par Niceforo et par Halbwachs.
Mon intervention envisagera les questions et les problèmes suivants :
1) Qui est-ce, qu’est-ce que la gauche allemande ?
1932 : les « antinational-socialistes » dans le « Front populaire » pour le Président Hindenburg ; les « antifascistes” dans le « Front ouvrier » pour le candidat du KPD Thaëlmann ?
1936 : qu’est-ce qui a changé depuis 1932 ?
2) Des jugements du concept du Septième Congrès mondial de l’Internationale Communiste et du Front populaire en France, 1935-1936
- en général : étaient-ils contre-révolutionnaires (trahison des principes du marxisme-léninisme) et ne pouvaient-ils pas surmonter la réaction, l’impérialisme, le fascisme, la guerre – ou, au contraire, donnaient-ils la possibilité de créer un mouvement mondial des forces progressistes ?
- particulièrement: Le Front populaire français, comme alliance politique et comme mouvement social, a-t-il pu servir de modèle à l’Allemagne ? Et, comme gouvernement, a-t-il été un compagnon d’armes contre l’Allemagne nazie ?
3) Un Front populaire allemand
- des pour et des contre en exil, particulièrement autour du Comité préparatoire à Paris ;
- la signification de la solidarité ;
- l’idéologie dans la clandestinité : le groupe Front populaire allemand à Berlin.
4) Le Conseil pour une Allemagne démocratique (Council for a Democratic Germany) aux États-Unis en 1944-1945. Qu’est-ce que l’héritage du Front populaire des années trente, qu’est-ce qu’il y a de neuf ?
En Indochine française, en particulier au Vietnam, comme dans le reste de l’Empire, l’avènement d’un gouvernement de gauche en métropole a été accueilli avec ferveur et espoir. Est-ce à dire que les leaders nationalistes ont cru que cet avènement pouvait être le signal du déclin inéluctable du système colonial ? Sans doute pas, même si des nuances devraient être apportées, selon les familles politiques.
Le bilan politique et humain du Front populaire, en Indochine, est loin d’être négligeable. Mais, la parenthèse refermée, le système colonial n’avait pas été durablement entamé. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le Vietnam fit sa révolution anticolonialiste, sans apport (efficace) de la gauche métropolitaine.
Une amnistie pour mémoire [durée : 23 min.], Gacon Stéphane => Cliquez ici pour afficher le résumé de la communication
Il est paradoxal de parler de mémoire pour évoquer une mesure qui a pour vocation l’oubli. Sous le Front populaire, deux lois d’amnistie sont adoptées qui s’adressent aux derniers condamnés de la Grande Guerre (pour antimilitarisme, défaitisme, pacifisme, mutinerie, etc.), aux militants antifascistes et aux grévistes des derniers mois, aux cheminots, postiers et autres condamnés de la fonction publique ainsi qu’à tous les condamnés à des « peines de misère » (vol et avortement par exemple). L’amnistie est une mesure qui, au-delà de ses effets réels, a une portée symbolique importante et on pourrait se demander si elle est l’occasion de faire entrer les luttes du peuple dans une mémoire nationale consensuelle par la reconnaissance offerte par le geste (on oublie ce que vous avez fait donc vous êtes des Français comme les autres). Mais cette logique d’unité nationale n’est qu’apparente car la droite mène un âpre combat contre ces dispositions. Cette amnistie est avant tout une amnistie de lutte : il y a une mémoire ouvrière de luttes, de souffrances et de répression et il est nécessaire de faire une place à ces luttes, de rendre grâce à ces hommes qui ont été des remparts face au fascisme, à l’inégalité et à l’injustice sociale. Il faut leur offrir l’amnistie qu’ils réclament. Tel est le sens de la revendication portée par les partis et les organisations (comme le Secours rouge de France ou la Ligue des droits de l’homme) qui font campagne pour cette amnistie et la placent en tête du programme de Rassemblement populaire. La mémoire des luttes passées doit être le ciment de la classe ouvrière, du mouvement social, du Front populaire. L’amnistie est mémoire avant d’être oubli ; l’oubli est toujours un outil du combat politique ; cette amnistie est l’occasion de formaliser une mémoire de luttes qui ne cesseront d’habiter le mouvement social au XXe siècle.