Colloque organisé à Dijon (Université de Bourgogne) du 11/10/2018 au 12/10/2018 Organisateur(s) : Fossier Arnaud, Le Page Dominique, Lemesle Bruno Centre(s) organisateur(s) : Centre Georges Chevrier-UMR CNRS uB 7366 Partenaire(s) : ARTeHIS-UMR 5594, Laboratoire des sciences historiques LSH-EA 2273, Besançon, Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire CRULH-EA 3945
Référence électronique : Fossier Arnaud, Le Page Dominique, Lemesle Bruno (organisateurs), 2018, Les instruments de la représentation politique en Europe (Moyen Âge-Temps modernes) [en ligne], colloque, Dijon, Université de Bourgogne, disponible sur https://lir3s.u-bourgogne.fr/phonotheque/m-202, page consultée le 24/03/2025
Présentation de la manifestation
L’enjeu de ce colloque est d’articuler deux objets d’étude généralement dissociés par l’histoire du droit et les sciences politiques : d’un côté, la question de la représentation politique, qui renvoie aux procédures électorales et aux assemblées qui en découlent, à des pratiques et à des formes d’organisation politique « horizontales ». De l’autre, la « verticalité » du pouvoir souverain, qui circule de haut en bas, se transmet, se délègue et exige d’être représenté.
Au croisement de ces deux champs d’enquête, explorés de longue date par les historiens, les juristes et les politistes, nous nous proposons d’étudier les procédés et les instruments qui leur sont communs, mais aussi de mettre à jour les influences réciproques entre ces deux modes de représentation politique – avant que n’émerge, au XVIIIe siècle, l’idée d’un « peuple souverain » et d’un gouvernement représentatif.
On s’intéressera tout particulièrement au mandat, à la procuration et autres formes de délégation, ainsi qu’à la nature du pouvoir ou de l’autorité qu’elles permettent d’accomplir et d’exécuter.
Le « mandat », par exemple, a été, sur le temps long (de l’Antiquité romaine à l’Âge classique) une technique fondamentale de délégation du pouvoir. Donner ou confier mandat à un autre, c’est en effet l’autoriser à vous représenter, à agir à votre place et en votre nom. Mais quelles étaient les conditions d’efficacité du mandat, sa durée et ses modalités d’octroi ? Que permettait-il de faire exactement ?
De ce point de vue, on doit opérer une distinction entre le mandat, la procuration ou la commission, autant d’instruments de délégation et de représentation qui ne sont pas identiques (mais que certains historiens ont pourtant tendance à confondre ou dont ils ont négligé les différences). Ces différentes modalités de transmission du pouvoir et de représentation n’ont ni les mêmes raisons d’être ni les mêmes effets et s’appliquent dans des contextes parfois très différents. Un légat pontifical, par exemple, est-il mandaté ? Pourquoi dit-on d’un évêque chargé d’exécuter un ordre apostolique qu’il est « commis » ? Les procureurs et les avocats détiennent-ils, au Moyen Âge, un mandat ? On observera l’évolution des notions de mandat et de procuration dans les assemblées de l’époque moderne (assemblées du clergé, états généraux, diète impériale, cours souveraines, villes, etc.). On pourra s’interroger, par exemple, sur la professionnalisation des délégués au cours du XVIIIe siècle, qui tend à en faire des experts (ainsi les délégués des villes de l’Empire ou ceux qui représentent le collège des princes à la diète impériale). Il importera par conséquent de comprendre ce que représentent vraiment ces mandats et procurations et comment ils sont perçus : leur importance et la légitimité qui leur est reconnue sont attestées par la vérification à l’ouverture des assemblées. On devra chercher à déterminer quelle latitude est concédée aux délégués par leur mandat. Il faudra donc s’attacher à caractériser le contexte historique dans lequel les notions se transforment, à travers notamment les querelles et débats qui les révèlent.
Les réponses devront être cherchées du côté des rapports d’autorité et de pouvoir que supposent ces différents mécanismes de représentation, et en tâchant de rassembler différents historiens du droit et des institutions, sensibles à cette question de la délégation du pouvoir et de ses usages dans divers dispositifs politiques (impérial, ecclésiastique, royal, communal, etc.).
Il conviendra également d’identifier certains des « lieux » matriciels de la représentation politique moderne, lieux dans lesquels se sont déployés ces différents instruments – que l’on pense aux communautés monastiques, aux assemblées d’« états » de la fin du Moyen Âge, à la diète impériale ou encore au « vicariat » pontifical.
On veillera ainsi à s’affranchir des catégorisations traditionnelles de l’ordre politique médiéval et d’Ancien Régime, pour mieux comparer entre eux les régimes qui caractérisent cet ordre politique (monarchies, républiques, hiérocraties, etc.) et peut-être ainsi éclairer certains fondements de notre démocratie. On pourra en effet se demander ce qui reste des pratiques anciennes dans les pratiques contemporaines du vote et de la représentation : il sera utile alors d’apprécier tant les héritages que les ruptures, les rejets ou les modèles.
Bibliographie :
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C’est à partir du XIIe siècle que s’est construite, sur des règles de droit romain privé classique, la doctrine canonique de la représentation politique et de ses instruments. La « représentation-mandat » est donc fort éloignée des conceptions de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, qui deviennent alors pour ce sujet les parents pauvres de la recherche en histoire du droit. Pour autant, les questions de verticalité du pouvoir et de représentation politique se posent mais certainement avec des modalités différentes dans un contexte de bouleversement des institutions postclassiques qui cèdent la place à d’autres rapports d’autorité et de pouvoir. Il convient donc d’entamer une première réflexion sur certains actes de la pratique encore à notre disposition qui gravitent autour des notions de mandat, de procuration, de délégation, et de conseil. Dans ce contexte, certains textes, notamment des formules mérovingiennes et carolingiennes, révèlent une maîtrise d’un vocabulaire d’une étonnante technicité juridique.
Au XIIIe siècle dans le duché de Bourgogne, sont apparus plusieurs personnages portant le titre de Mandatum ducis Burgundiae. Les spécialistes qui les ont jusqu’ici étudiés les considèrent "énigmatiques" et ne s’expliquent pas pourquoi ils apparaissent soudainement dans la documentation. Afin de jeter un peu de lumière sur ce sujet, cette communication essaie d’expliquer l’origine de ces personnages, leur désignation et leur rôle dans le fonctionnement de l’appareil administratif ducal, mais se concentre surtout sur l’analyse du mécanisme juridique utilisé pour leur conférer leurs facultés particulières, mécanisme que cette étude identifie comme étant le mandatum, emprunté au droit savant. La perspective donnée au sujet oblige ainsi à insérer cette étude dans le débat autour des formes de délégation des facultés dans le royaume de France, auquel ont récemment contribué auteurs comme Frédérique Lachaud et Romain Teillez.
L’objectif premier de la communication est de rebattre les cartes en matière d’histoire de la représentation pontificale, que les historiens ont tendance à concentrer pour les trois derniers siècles du Moyen Âge sur la légation, présentée comme l’instrument par excellence de la diplomatie pontificale avec les princes. La nonciature n’est nullement une forme de représentation qui ne s’est développée qu’avec le XVe siècle, contrairement à ce qui en est dit. Par ailleurs, apparaît redynamisé ou réinventé un recours au vicariat général. Tout ceci complexifie certes l’appréhension par l’historien de la délégation d’autorité à la fois dans ses dimensions théoriques, canoniques et dans ses réalités pratiques, mais atteste aussi la diversité des modes officiels de délégation d’autorité par l’Église de Rome. Les populations ont-elles suivi ces évolutions ? Rien n’est moins sûr. Bien avant les historiens, tout prouve au contraire que les fidèles ont eu tendance à assimiler tous les représentants du pape à des légats, ce qui sans aucun doute contribua à assurer la survie d’une institution menacée à plusieurs reprises par l’affirmation des pouvoirs d’État, mais aussi l’image pleine de conservatisme attachée à une Église incapable de se détacher de racines qui la liaient irrémédiablement à la Rome antique.
Entre la fin du XVe et le milieu du XVIIe siècle se situe l’âge d’or des gouverneurs de province selon l’historien Robert Harding. Censés représenter le roi dans ses provinces, les gouverneurs font partie de l’élite dirigeante d’un royaume devenu immense où le monarque ne peut être partout à la fois. Yeux, oreilles et bouches du souverain, les gouverneurs relaient très localement sa politique en province. Cependant, cette forme de représentation politique interroge. Ni commission ni office (mais souvent commissaires et ayant la possibilité de transmettre leur charge à un héritier grâce au droit de survivance...), le pouvoir que les gouverneurs obtiennent de leurs lettres de provision a souvent été vu comme un moyen d’action politique démesuré qui se serait retourné contre l’État moderne (Ligue, Fronde). Or, bien des gouverneurs furent des soutiens sans faille à la monarchie, des « piliers de la République » (R. Harding), et c’est la nature des pouvoirs confiés aux gouverneurs qui est à analyser avec précision pour mieux comprendre leur rôles politiques. Plus qu’un simple pouvoir militaire comme on ne l’a longtemps cru, les gouverneurs jouissent en réalité de pouvoirs multiples et variés. En effet, ils peuvent agir au nom du roi dans les finances ou encore dans le monde de la justice. Se pose enfin la question de leur place dans le monde provincial. Des représentations symboliques du monarque (entrées de villes sous un dais, entrées en parlement, présence aux États provinciaux etc.) sont secondées par une certaine représentation du corps provincial auprès du souverain dans le cadre très restreint de son conseil. Ainsi, entre représentation du monarque en province et représentation du corps provincial auprès du souverain, les gouverneurs de la première modernité font résolument le lien entre centre et périphérie. C’est toute cette ambivalence qu’il conviendra d’analyser avec précision, tout en essayant d’expliquer la fin de ce modèle de représentation politique au tournant du règne du Roi-Soleil qui généralisera l’emploi des intendants et des subdélégués. Des exemples seront aussi bien issus de ma recherche doctorale, centrée sur un gouverneur de Bretagne au XVIe siècle, que d’études complémentaires et de nouvelles trouvailles en archives sur d’autres espaces.
Dans le conflit qui l’opposa durablement à l’autorité pontificale durant les années 1430 et 1440, le concile de Bâle développa une conception absolue de la représentation. L’assemblée se concevait comme incarnation de la communauté ecclésiale universelle plus que comme son émanation. Loin d’être cantonnée aux traités ecclésiologiques, cette conception légitime les actes juridictionnels souverains que l’assemblée prétendait exercer. Elle apparaît dans la titulature conciliaire et les lettres-manifestes destinées à contrer la souveraineté pontificale.
La question de la représentativité s’est pourtant posée de manière concrète, technique. Dans une perspective réformatrice marquée par les aspirations politiques du temps, l’assemblée bâloise élargit la sphère délibérative bien au-delà des prélats : aux représentants des universités, des communautés monastiques et des chapitres canoniaux, jusqu’aux simples curés. Cet élargissement exigeait de construire politiquement la représentation par le mandat. La présente contribution étudie la construction de la représentation d’une église locale à l’assemblée générale au prisme des archives capitulaires de Paris : convocation, mandats et instructions. Dans quelle mesure de tels mandats ont-ils reconfiguré la représentation conciliaire ? Comment s’articulaient-ils à l’ecclésiologie de la représentation absolue ?
En Suède, selon les lois des XIIIe et XIVe siècles, le roi était élu par les différentes assemblées provinciales du royaume, dans un premier temps directement, puis, au tournant des XIIIe et XIVe siècles, par l’intermédiaire de délégations réunies à Mora Sten (Uppland). Le roi est ainsi « élu au nom de tout le peuple », selon une formule employée dans une charte de 1362. La représentation politique n’est pas théorisée dans la loi et elle offre des facettes différentes selon les moments de l’élection. Lors des diverses étapes du rituel électif, le serment du roi apparaît comme l’instrument le plus efficace de la représentation, servant à en prolonger les effets au-delà de la cérémonie de Mora Sten. Le serment permet également au roi de confier une part de ses prérogatives, d’être donc, dans certains cas, lui-même représenté. Deux exemples très différents de ces représentants du roi seront examinés, celui des membres du Conseil royal et celui du prévôt de Stockholm.
Les registres de délibérations communales conservés en assez grand nombre en Provence pour les derniers siècles du Moyen Âge sont une excellente source d’information sur les relations entre les villes et les assemblées d’états. Ils permettent très souvent de connaître la teneur des lettres de convocation et des mandats qui y sont requis par le pouvoir comtal. Ils renseignent aussi sur les mandats effectivement conférés aux députés élus par les communautés ainsi que sur les instructions qui les accompagnent. Et les brefs rapports soumis aux conseils urbains par ces députés à leur retour complètent une information qui, bien que très fragmentaire, jette quelque lumière sur les stratégies de négociation d’un échange politique entre le prince et ses sujets. Cette communication abordera principalement les questions de la territorialisation de l’État, que favorisent la multiplication et la systématisation des convocations, les enjeux liés à l’élection des représentants ainsi que la formulation des mandats et des instructions destinés à donner voix aux représentants des communautés tout en assurant le respect des libertés et des privilèges locaux.
Ces trois assemblées constituent, en l’absence des états généraux du royaume entre 1614 et 1789, un site d’observation pertinent des mécanismes institutionnels de la représentation politique et de ses significations aux deux derniers siècles de l’Ancien Régime.
Les acteurs qui se retrouvent sur le théâtre des « Éstats » par la volonté royale et la force des libertés et privilèges des provinces y jouissent d’une « séance » dont les modalités ne sont pas pour tous identiques. À côté de ceux dont l’entrée est assurée par la détention d’une fonction au sein de l’Église ou par la possession d’une terre conjointement à une ancienneté noblesse conforme aux exigences légales et dûment vérifiée existent de véritables députés ou délégués, lieutenants d’une autre instance comme le roi, les communautés urbaines, un chapitre, un évêque ou un baron.
Les plus éminents dans le fonctionnement de l’institution sont indéniablement les commissaires du roi – gouverneur, commandant en chef, intendant, premiers présidents du Parlement et de la Chambre des comptes – dont l’un des premiers actes, lors de la cérémonie d’ouverture, est précisément de faire donner lecture par le greffier des commissions générale et particulières les instituant comme commissaires de sa majesté. Concomitamment en Languedoc ou précédemment en Bretagne, les députés des villes et des chapitres remettent aussi au greffe des États les procurations qu’ils tiennent de leur communauté tout comme les vicaires des évêques ou les envoyés des barons en Languedoc qui est le seul pays d’États à pourvoir clairement au remplacement des excusés; une fois ces pièces vérifiées et enregistrées, chacun peut prendre « rang et séance » et se joindre aux délibérations. En Languedoc, elles ne commencent qu’après la procession des États qui suit la messe du Saint-Esprit, marquant ainsi la constitution du corps politique.
Toutefois aucune de ces différentes pièces ne semble avoir été conservée dans les fonds des états (série C des archives départementales, séries H et K des archives nationales), hormis les commissions et instructions des représentants du roi; mais fort heureusement les collections de règlements breton et languedocien offrent une alternative pour comprendre les formes juridiques de la représentation juridique aux États et partant de ce que l’institution pouvait représenter dans le cadre de l’échange politique entre une province et son souverain. Ces sources dévoilent en même temps les modalités de coexistence entre des pouvoirs parfois contradictoires et notamment les tentatives du pouvoir souverain de contrôler l’assemblée par la mainmise sur les mécanismes de désignation non seulement de certains des députés aux États mais surtout des députés des États, notamment ceux qui portent le cahier des doléances de la province « au pied du trône ».
Cette communication envisagera ainsi, à partir des sources réglementaires qui sont à notre disposition, de décrire les types de mandat induits par ces objets d’histoire que sont les procurations, les commissions et les députations. Leur institutionnalisation au cours des deux derniers siècles de l’Ancien régime interroge, en outre, la nature de la représentation politique portée par ces assemblées et que les états de Dauphiné, en 1788, tentèrent de réformer. Nul doute que dans ces tensions réside l’un des ferments qui permet en 1789 de trancher avec efficacité le débat entre mandat impératif et mandat représentatif, un débat qui travaille encore le système représentatif qui constitue le cœur de nos démocraties.
Le fort développement de l’économie incorporée, dans la capitale, coiëncide avec la construction de l’absolutisme royal, entre mi-XVIIe siècle et mi-XVIIIe siècle. Ce moment de confluence est marqué par la multiplication et la consolidation des métiers jurés, dont le sommet se trouve alors occupé par une fédération de six d’entre eux, portant le titre de Six Corps des marchands (drapiers, épiciers-apothicaires, merciers, pelletiers, bonnetiers, orfèvres). Aussi bien par cette titulature politique de corps que par la force sociale et bourgeoise des familles qui les dirigent, une structuration hégémonique de l’espace commercial s’organise par deux biais principaux, reliés l’un à l’autre :
- le rapport de force économique entre des corps dits marchands et des corporations plus ou moins efficacement cantonnées sous les termes de communautés et d’artisans, - une représentation devant le prince, où ces expressions sont enregistrées, patrimonialisées, et où la puissance rituelle est un mode d’accès à une législation royale favorable.
Si les Six Corps parviennent dans un premier temps à élaborer une représentation du commerce tout entier de la capitale, jusqu’au cœur du Conseil, la nature de cette représentation pour autant souffre très vite d’une ambiguiëté, celle d’une représentation d’établissements institués et privilégiés, mise en regard d’une représentation des expertises professionnelles, propres aux techniques et circuits commerciaux, à savoir une double représentation des droits et des savoirs. Le travail des Six Corps consiste bien à postuler une équivalence entre les deux aspects. Toutefois cette capacité s’affaiblit dès les années 1730- 1740, où la monarchie cherche d’une part à personnaliser les députations marchandes auprès d’elle (non plus avec des jurés élus temporaires, mais avec des conseillers viagers), ce qui est un moyen de les décérémonialiser, et d’autre part à déporter ce lien au commerce hors de la question des droits, de leur protection et reconduction. Alors le roi veut précisément mener la députation vers la forme d’une audition de connaissances, d’expériences, dont la garantie publique ne serait plus accomplie que par lui.
Ce faisant, la représentation change de nature tout en se maintenant, et en suscitant de lourds conflits avec les organes privilégiés de la capitale, Six Corps en tête. Le processus se clôturera dans la suppression radicale de tout l’ordre corporatif ancien par le ministre Turgot en 1776.
Les villes du sud de l’Empire – la région considérée ici concerne les deux rives de la haute- vallée du Rhin, de Constance à Strasbourg – présentaient à la fin du Moyen Âge des profils politiques différents : grandes et petites villes seigneuriales, mais aussi villes immédiates d’Empire, « libres » comme Strasbourg et Bâle ou « impériales » comme Zurich ou Colmar, ne rendant, au moins en théorie, de comptes qu’au souverain. Ces villes immédiates ont souvent été réparties en villes « à régime de métiers », dirigées par les corporations représentant les artisans et marchands, comme Strasbourg ou Zurich, et villes « patriciennes », dominées par une oligarchie de lignages nobles ou non, comme Berne.
Ma communication propose de questionner la pertinence de ces catégorisations dans la perspective du caractère horizontal – quand des hommes représentent leurs égaux – ou vertical – quand ils dominent des sujets ou administrés – des pouvoirs dans ces villes. Elle part de l’étude des chartes fixant les droits et devoirs des conseils et des autres organes de représentation des bourgeois ; des rituels et des formules d’hommage prêtés au seigneur, des serments prêtés par les bourgeois au Conseil mais aussi par le Conseil aux bourgeois ; enfin de l’examen des registres de délibération. Elle s’intéresse aux acteurs des pouvoirs, écoutètes et bourgmestres, élus du Conseil, mais aussi des métiers, autant d’intermédiaires entre la population et les autorités suprêmes.
On peut alors évaluer la nature des relations entre le seigneur et le Conseil : dans quelle mesure le Conseil se conçoit-il comme mandaté par le seigneur auprès des bourgeois qu’il représente par ailleurs ? Ces relations sont-elles fondamentalement différentes lorsque le seigneur est un prince local ou quand il est l’empereur, ou sont-elles d’abord déterminées par le rapport de forces entre la cité et son seigneur ?
On doit par ailleurs se demander si, à la fin du Moyen Âge, le Conseil se pense comme le représentant des bourgeois, voire de l’ensemble de la population, ou comme leur seigneur. Là encore, il s’agit de voir si les variations dépendent d’abord du statut de la ville. En effet, on constate que dans les villes à régime de métiers comme c’est le cas de Strasbourg depuis 1349, l’oligarchisation au sein du Conseil n’est pas forcément moins forte que dans les villes patriciennes. Inversement, les Conseillers de Berne, la ville patricienne par excellence, ne sont ni indifférents aux exigences des artisans ni entièrement libres d’en faire ce qu’ils veulent.
Enfin, la question de l’équilibre entre représentation et domination dans l’exercice du pouvoir ne s’arrête pas au Conseil, mais est centrale pour le fonctionnement des organes politiques aux pouvoirs plus modestes, comme les fabriques paroissiales ou les métiers.
En 1707, une grande crise politique éclate dans la République de Genève. L’aristocratie gouvernante qui siège dans le Petit Conseil, véritable gouvernement de la République, appuyé sur son antichambre, le Conseil des Deux-Cents, doit préciser sur le plan théorique les fondements de son pouvoir face à la contestation bourgeoise. Dans ce discours légitimant, l’idée de représentation occupe une place essentielle. Les magistrats se disent représentatifs du peuple, bien qu’ils ne soient pas élus par lui, mais se cooptent. Entre autres choses, cette représentativité tient selon eux à leur sens du bien public, les magistrats se souciant du bien-être du peuple comme un père se soucie celui de ses enfants. Certes, il y a des élections populaires deux fois l’an, mais elles permettent seulement à certains membres de ces Conseils cooptés d’accéder aux plus hautes magistratures. N’intervenant que lors de la dernière étape de la procédure de désignation, et reflétant une forte déférence électorale vis à vis des sortants, le choix populaire de remet pas fondamentalement en cause la logique d’ensemble du système.
Les bourgeois révoltés en 1707, et leurs théoriciens, attaquent de plein fouet cette conception gouvernementale. Ils ne souhaitent pas non plus un système représentatif, mais désirent restaurer en pratique la souveraineté théorique du Conseil général, l’assemblée bourgeoise issue de la commune médiévale. Dans cette perspective, les magistrats ne seraient que des « commis du peuple », responsables de l’administration courante et de la préparation des questions législatives à porter en Conseil général. C’est l’assemblée du peuple qui exercerait les marques de la souveraineté, en votant régulièrement sur les lois, l’impôt, la guerre et la paix.
L’objet de cette intervention sera de confronter ces deux visions radicalement opposées de la représentation et de la répartition des pouvoirs dans la petite République, à travers une étude des écrits théoriques et du vocabulaire politique, aussi bien que des pratiques politiques, notamment électorales.